La CAF a annoncé plus de 5000 demandes d’accréditation pour la CAN en Côte d’ivoire. Qu’est ce qui peut justifier un tel engouement ?
Le fait qu’il y ait 5000 demandes d’accréditations est bon signe pour la CAN. Cela prouve qu’elle suscite de l’intérêt. Il est évident que le fait qu’elle se joue en Côte d’Ivoire, un pays très central, qui attire beaucoup est un gros avantage. On a vu ces dernières années que c’était moins vrai dans l’Afrique centrale qui est une destination moins commune. Plusieurs pays de la zone ouest africaine sont qualifiés. Je crois qu’ils sont neuf au total. Forcément il y a un attrait particulier et une facilité aussi pour aller en Côte d’Ivoire. L’autre intérêt de cette CAN vient du fait que l’Afrique a bien figuré à la Coupe du monde 2022. Il est évident que le parcours du Maroc a eu un impact positif pour la compétition.
Le Maroc, demi-finaliste du Mondial qatari, sera-t-il l’équipe la plus difficile à battre lors de cette CAN ?
Le parcours du Maroc à la Coupe du monde 2022 est dans tous les esprits. Il sera donc très attendu. Le Maroc était d’ailleurs le premier pays à atteindre le sol ivoirien. C’est un signe sérieux comme toujours du côté marocain, du sérieux dans l’organisation. De ce côté-là, ils sont inattaquables. Par contre, est-ce qu’ils seront inattaquables sportivement pendant la CAN ? Je ne pense pas que le Maroc soit un favori indiscutable, très au-dessus des autres parce que ce pays comme tous les autres pays d’Afrique du Nord ne gagne pas quand ils descendent en Afrique subsaharienne.
Jusqu’à preuve du contraire, ils n’y figurent pas très bien. Ils ne jouent pas de finale, ils ne gagnent pas. Donc, je ne m’attends pas à ce que le Maroc soit un hyper favori. Un favori oui parce que c’est l’une des meilleures équipes, elle a la capacité de s’adapter à cette CAN en Côte d’Ivoire et à performer comme au Qatar. La victoire du Maroc n’est pas une évidence pour moi. Le Maroc n’est pas mon favori numéro un pour cette CAN.
Sur le plan de l’organisation, quelles sont les erreurs commises au Cameroun qu’il faudra éviter en Côte d’Ivoire ?
L’un des manquements de la CAN au Cameroun c’est de ne pas avoir été prêt assez tôt. Beaucoup de stades ont été achevés tardivement. Du coup, un certain nombre de choses n’ont pas pu être anticipés et on a eu notamment un drame au stade d’Olembe à Yaoundé, qui est sans doute l’une des conséquences de cela. La Côte d’Ivoire a eu une certaine chance de pouvoir décaler plusieurs fois sa CAN. Donc, d’avoir le temps de finir correctement les stades. C’est un gros avantage par rapport au Cameroun. C’est un élément d’organisation fondamental. Je pense qu’il y aura un afflux de spectateurs et de voyageurs bien supérieur à ce qu’il y a eu au Cameroun.
Le Cameroun avait le désavantage de sortir du COVID, d’être un pays un peu moins accessible, un peu moins central en Afrique. Je pense que la Côte d’Ivoire aura davantage de gens à recevoir. Et c’est justement là qu’on attend la Côte d’Ivoire, sur la qualité de l’accueil, la qualité des accès au stade et la qualité de la sécurité autour et dans les stades. À partir de là, on pourra juger si l’organisation était parfaite. Aussi, amener les spectateurs locaux dans les stades. On peut espérer une CAN avec une forte affluence. Pour cela, il faut que la Côte d’Ivoire soit en phase avec cet afflux de demande au niveau de l’organisation. C’est là qu’on jugera si elle aura été éventuellement supérieure au Cameroun.
La 35e édition de la CAN est prévue en 2025 au Maroc. Où est-ce que la CAF va trouver les dates pour les éliminatoires quand l’on sait que les fenêtres Fifa de 2024 seront consacrées aux qualificatifs du Mondial de 2026 ?
Comme d’habitude, la CAF fait tout au dernier moment. Donc, elle a traité les qualifications pour la Coupe du monde 2026 en priorité, tout d’un coup elle se préoccupe du fait qu’elle ait quand-même une CAN prévue en 2025, sans qu’on en connaisse la date aujourd’hui. Ce qui est complètement aberrant. Je rappelle qu’on est en 2024. C’est tout à fait spectaculaire et invraisemblable de s’organiser aussi mal. Ils ont prévu des dates, en plus ils ont chargé le calendrier en faisant des groupes de six, ce qui est complètement stupide pour la Coupe du monde.
Donc, on se retrouve avec un calendrier hyper chargé. Malgré tout, il y a de la place pour faire les qualifications de la CAN. La bouteille est bien pleine. Il ne faut pas qu’il y ait le moindre accroc, le moindre report. La CAF a fait de nombreux reports ces dernières années parce qu’il y avait un petit confort de calendrier du fait du COVID. Non seulement c’est terminé, mais le pire c’est qu’il y a un embouteillage de compétitions entre 2025 et 2026. La CAF doit être hyper vigilante. Elle doit tenir son calendrier mordicus avec deux matchs chaque séquence internationale.
Si elle ne réussit pas à le faire, elle sera dans le mur. Elle l’aura un peu mérité parce qu’elle n’organise rien en avance, elle ne prévoit rien et à l’arrivée il y a des problèmes. Je pense que ce serait un gros problème si la CAN au Maroc n’avait pas lieu en juin 2025 parce qu’avec la Coupe du monde juste derrière, je pense qu’en 2026 ça compliquera fortement le calendrier et remettra complètement en cause la fameuse organisation tous les deux ans de la CAN. La CAF joue gros sur cet épisode et elle ne doit pas se rater.
Le Sénégal a t’il les moyens de rééditer son exploit en terre ivoirienne ?
Le Sénégal a les moyens sportivement de gagner une CAN supplémentaire. La précédente était il y a à peine deux ans et elle est tout simplement dans la même lignée. Elle s’est même sans doute renforcée depuis. Il est tout à fait capable de remporter une 2e CAN. Maintenant, il faut savoir que pour moi le Sénégal ne sera pas un vrai favori. C’est vrai qu’il fait partie des favoris mais il ne se détache pas dans le sens où il y a une extrême difficulté à réaliser un doublé.
Depuis le triplé de l’Égypte, plus aucune équipe n’a fait de doublé. Dans les années d’avant, c’était rare. Il y a eu le Cameroun en 2000 et 2002, puis l’Égypte. C’est quand-même quelque chose d’extrêmement rare, d’extrêmement difficile. Je pense que le Sénégal en était à sa première victoire au Cameroun en 2022. Ce qui est veut dire qu’il y a eu en quelque sorte un sentiment du devoir accompli qui peut nuire éventuellement à cette CAN du Sénégal.
Je ne pense pas que le Sénégal connaîtra un échec du style de l’Algérie lors de la dernière CAN, le tenant du titre devenu l’une des plus mauvaises équipes de l’édition suivante. Je pense que le Sénégal est un peu à l’abri de cela. Mais malgré toute méfiance, les lendemains de victoire sont toujours un peu difficiles et je crains que pour le Sénégal la fin ne soit pas forcément la même au niveau des joueurs et qu’il y ait quelques difficultés à confirmer son succès historique en 2022.
La Côte d’ivoire, pays hôte, pourra-t-elle supporter la pression de son public ? Qu’est qui peut justifier la non sélection d’un joueur talentueux comme Wilfried Zaha ?
La Côte d’Ivoire sera parmi les favoris parce qu’elle est l’organisatrice et parce qu’elle a un potentiel considérable. Elle a les moyens d’aller au bout de sa CAN à domicile, ce qui n’est plus arrivé depuis bien longtemps. Depuis l’Égypte en 2006. C’est dire que ce sera un exploit de remporter la CAN même à domicile pour la Côte d’Ivoire. Ce n’est pas simple de supporter la pression. C’est un gros avantage de jouer à domicile. Cependant, cela se révèle parfois difficile avec des équipes qui ressentent une pression considérable et qui ont du mal à l’assumer, à remporter le succès qu’elles auraient souvent promis.
Quand on joue à domicile, c’est évident qu’on fasse partie des favoris. Je serais quand-même assez optimiste pour la Côte d’Ivoire. Je pense qu’elle a les moyens de relever le défi. Je pense que la Côte d’Ivoire fera un bon parcours. Elle a rajeuni son équipe. Je pense que cette équipe a un vrai potentiel pour réussir. Dans chaque sélection, il y a toujours un joueur qui, individuellement, a le talent pour être titulaire et un personnage considérable de la CAN. A l’inverse, il y a aussi un entraîneur qui considère les choses de manière collective.
S’il estime qu’éventuellement un joueur n’est pas totalement impliqué dans cette équipe, il doit faire des choix qui ne sont pas basés sur la valeur individuelle mais des choix pour le collectif qui montrent que le joueur n’apporte pas assez ou peut éventuellement nuire à ce collectif. C’est probablement le choix qu’a fait Jean Louis Gasset en écartant une valeur individuelle comme Wilfried Zaha.
Voyez-vous d’autres pays capables de jouer les trouble-fêtes dans cette compétition ?
Tout le monde s’arrête sur quatre pays : Maroc, Algérie, Sénégal, Côte d’Ivoire. À côté on peut ajouter des favoris traditionnels parce que jamais on ne peut écarter des nations comme le Cameroun ou le Nigéria même si pour moi ils ne sont pas dans les favoris de premier abord. Mais on est obligé de les citer parce que ce sont des grandes nations de football. Quand ces nations arrivent en quarts de finale, elles font peur aux adversaires.
Si vous parlez de trouble-fête en pensant à des nations un peu moins connues et moins en vue, je pense qu’on attend le Mali depuis quelques années. Est-ce que c’est le temps de la maturation ? Je suis assez optimiste sur le Mali cette fois-ci. Je ne l’étais pas forcément à la dernière édition. Je trouvais que l’équipe n’était pas encore équilibrée. Aujourd’hui il y a une amélioration. On a un collectif de plus en plus complet. Le Mali peut jouer un grand rôle. On peut également espérer du Burkina qui, d’édition en édition réalisent de grosses performances.
Certains espèrent aussi voir la RDC et le Congo. Je ne pense pas qu’on puisse attendre une victoire finale de ces équipes. On peut aussi avoir des trouble-fêtes du style de la Gambie qui, avec l’envie de la dernière édition, se glisse en quart de finale. Ce sera en quelque sorte une surprise. Ce sera également une surprise de voir des équipes comme la Guinée équatoriale et Cap Vert arriver en huitièmes ou en quarts de finale. Des équipes comme ça ont déjà réussi ce genre de coup. Pourquoi ne pas jouer à nouveau un rôle plus important. Là on parle plus de victoire finale possible.
Vous qui connaissez très bien le foot africain, comment doivent-ils s’organiser (formations, infrastructures etc.) pour combler leur retard ?
Le football africain a progressé depuis ces dernières années. Ce progrès n’est pas forcément visible dans les résultats même si le coup d’éclat du Maroc à la Coupe du Monde 2022 a redonné beaucoup d’espoir à l’Afrique. Le continent était jusque-là très décevant depuis deux Coupes du monde. L’Afrique a relevé la tête dans la Coupe du monde au Qatar. C’est un plus mais je pense que quand on parle du retard de l’Afrique par rapport aux grandes nations, on fait allusion à la formation…
Je pense que le plus grand retard pour l’Afrique vient du fait que le football s’est professionnalisé de manière extrême, ça fait que les progrès de l’Afrique ne sont pas suffisants pour suivre le rythme. Le football s’est professionnalisé en termes de technologie, de traitement des blessures, de tous les éléments d’organisation qui entourent une équipe aujourd’hui, des staffs surdimensionnés, dans certaines sélections avec des spécialistes des coups de pied arrêtés, etc.
Cette hyper professionnalisation bénéficie aux grandes nations possédant de gros moyens et de gros budgets, et qui ont un historique très fort. Dans ces conditions, quand l’Afrique progresse, elle reste encore bien loin du niveau des plus grandes nations. Ce retard peut s’accroître parallèlement quand les autres progressent encore plus vite. C’est une petite observation pas du tout désespérante. Je pense qu’on peut dire que l’Afrique progresse. Il y a plus de sérieux autour de sélection.
Il y a encore quelques années, certaines sélections avaient des comportements fantaisistes dans les compétitions comme la CAN. On a quand même progressé dans l’organisation générale des équipes mais il y a encore des freins parfois politiques parce que tant que l’argent sera débloqué à la dernière minute par les ministères ou la présidence il y aura encore des couacs invraisemblables qui nuisent au football africain. Malgré tout, la tendance est au progrès mais le progrès ne va pas aussi vite que celui des autres pays. Raison pour laquelle le retard est si dur à combler.
Quel regard jetez-vous sur la première édition de l’Africa football League ?
De prime abord, je ne suis pas opposé à une Super League africaine. En Europe, j’y suis totalement opposé parce qu’il y a des modèles qui marchent. L’Afrique est bien obligée de constater que les compétitions continentales ne fonctionnent pas très bien. Tout le monde y perd de l’argent. Les voyages sont infernaux, nuisent aux compétitions nationales. Les équipes se retrouvent avec cinq matchs de retard dès qu’elles font une performance continentale. Globalement, il y a un fonctionnement.
Avec la Champion’s League et la Coupe de la Confédération qui ne sont pas très satisfaisantes. Si l’Afrique veut tenter autre chose autour d’une Super League, pourquoi pas ? Il faut tout de même prendre en compte le fait que ce qui a été proposé est un embryon de Super League. L’idée de la Super League c’est de rassembler les meilleurs clubs et de faire une sorte de mini championnat entre eux. On était sur un tournoi qui démarrait en quarts de finale. Donc, c’était de la « gnognotte » si j’ose dire.
Je ne suis pas d’emblée opposé à ce qu’on tente autre chose pour les compétitions continentales. Je ne suis pas un tenancier du conservatisme absolu mais j’attends de voir. Ce que j’ai vu jusqu’ici est un petit tournoi, qui ne préfigure pas grand-chose. On sait bien que cela se joue sur l’argent, c’est d’ailleurs le seul intérêt qu’on peut trouver dans ce genre de compétition. Si la CAF et la FIFA trouvent les fonds pour la développer ce sera bénéfique pour les clubs africains.
Quels sont vos plus beaux souvenirs de CAN et pourquoi ?
Depuis Dakar, j’ai suivi toutes les CAN. Forcément, il y a accumulation de souvenirs. Je cite celle de 1992 pour commencer parce que c’est ma découverte du football africain. Si aujourd’hui encore je vais à la CAN en Côte d’Ivoire vous doutez bien que ce fut un choc positif parce que cela a marqué ma vie professionnelle à jamais. Je dois citer cette première CAN en 1992.
Il y a plein d’excellents souvenirs. J’ai beaucoup aimé 1998 au Burkina, c’était une compétition très simple et très bon esprit, avec des petits stades. Ce qui prouve qu’on n’est pas obligé d’aller dans le gigantisme pour avoir une jolie CAN. C’était une autre époque j’en conviens mais parfois quand je vois qu’il faut des stades de 20.000 places, dans des petites cités qui ne peuvent quasiment pas utiliser ce stade après, je me dis que c’est beaucoup de gâchis. Pour jouer quatre matchs de CAN c’est beaucoup d’investissement pour les Etats. Je me souviens aussi de la finale de 2000 au Nigeria. C’est probablement la plus belle finale qui m’a été donné de commenter. C’était un magnifique match entre le Nigéria et le Cameroun.
Je garde également les souvenirs des éditions moins réussies comme l’Angola. J’ai beaucoup aimé 2012 au Gabon-Guinée équatoriale. C’était une CAN très agréable à suivre. Des souvenirs personnels, j’en ai beaucoup. Il y a les références sportives. On ne va pas égrainer les 16 CAN que j’ai vécues. Il y a trop de choses à dire. J’attends énormément de cette CAN 2023 jouée en 2024 parce qu’elle a lieu en Côte d’Ivoire et c’est un pays que j’aime beaucoup. J’espère qu’elle me laissera encore plus de souvenirs.
Propos recueillis par Emile Zola NDE Tchoussi