De la poussière des dojos dakarois aux hautes sphères du sport continental, Balla Dièye a bâti sa légende à la force des poings, mais surtout à celle de la volonté. Champion, dirigeant, ambassadeur de la paix et pilier des Jeux Olympiques de la Jeunesse Dakar 2026, il incarne aujourd’hui une Afrique sportive ambitieuse et résolument tournée vers l’avenir. Très jeune, il est fasciné par les arts martiaux qu’il découvre à travers les films de Bruce Lee. Mais ce n’est qu’à l’âge de 14 ans qu’il pousse pour la première fois les portes d’un dojo.
À cette époque, les infrastructures sont rudimentaires, les équipements manquent, et le soutien institutionnel pour les sports de combat est presque inexistant. Pourtant, son abnégation et sa rigueur l’aident à surmonter les obstacles. « Je venais m’entraîner parfois sans avoir mangé, juste pour progresser », confie-t-il dans une interview en 2021. Dans un pays où le football absorbe la majorité des ressources sportives, se faire une place dans le taekwondo relève du défi. Son talent brut et sa détermination l’imposent rapidement comme un espoir national.
La carrière de Balla Dièye n’a jamais été un long fleuve tranquille. Dès ses débuts sur la scène internationale, il se heurte à la réalité des moyens limités. Ses déplacements à l’étranger sont souvent financés par sa famille ou par des amis. Il lui arrive même de dormir dans des chambres d’auberge à plusieurs, faute de budget suffisant. Lors du championnat d’Afrique 2001, alors qu’il se blesse sérieusement à la cheville au premier tour, il refuse l’abandon et décroche malgré tout une médaille d’or.
« Je n’avais pas le droit d’échouer, je représentais tout un pays et tous ces jeunes qui me voyaient comme un modèle », raconte-t-il. Mais l’un de ses plus grands combats fut de concilier carrière sportive et vie personnelle. Alors qu’il était au sommet de son art, Balla perd son père, figure centrale de son équilibre. Ce drame familial le pousse à envisager un arrêt de la compétition. Il choisit pourtant de continuer, convaincu que sa réussite serait la plus belle forme d’hommage.
Une reconnaissance internationale
Au fil des années, Balla enchaîne les podiums. Double médaillé de bronze aux championnats du monde (2009 et 2013), champion du monde francophone, plusieurs fois champion d’Afrique, il devient une référence. Mais c’est sa qualification pour les Jeux Olympiques de Rio 2016 qui assoit définitivement sa notoriété. Il devient le premier Sénégalais à participer aux JO dans sa discipline.
Cette reconnaissance, il la doit à une éthique de travail irréprochable, mais aussi à une gestion rigoureuse de sa carrière. Là où beaucoup d’athlètes africains sombrent dans l’oubli après leur retraite, lui prépare déjà sa reconversion. Il entame des études en management du sport, s’implique dans les fédérations nationales, et tisse des liens au sein des instances africaines et internationales. En 2018, il est élu président de la Fédération sénégalaise de taekwondo. C’est un tournant.
Dès sa prise de fonction, il entreprend une réforme de la gouvernance : meilleure organisation des clubs, soutien aux jeunes athlètes, formation des encadreurs, numérisation des compétitions locales… Son action est saluée au-delà des frontières. Trois ans plus tard, il est nommé secrétaire général de l’Union africaine de Taekwondo par Idé Issaka. Un choix logique tant il incarne une nouvelle génération de dirigeants sportifs africains : formés, connectés, engagés et ancrés dans les réalités locales. Sa réélection en 2025 est moins un aboutissement qu’un appel à poursuivre la modernisation de la discipline sur le continent.
Le sport comme outil de paix
Mais ce qui distingue profondément Balla Dièye, c’est son engagement pour la paix par le sport. Dès 2017, il rejoint la « Caravane de la Paix » initiée par la championne olympique Marlène Harnois et l’organisation Peace and Sport. Avec d’autres athlètes africains, il sillonne des zones fragilisées par les conflits pour organiser des démonstrations sportives, transmettre des valeurs de respect, de discipline et de vivre-ensemble.
En 2018, il devient Champion de la Paix. L’année suivante, il organise à Dakar une #WhiteCard géante avec 3 500 jeunes lors de la Coupe de l’Ambassadeur, un geste symbolique pour célébrer la paix à travers le sport. La même année, peu après les attaques en Casamance, il se rend sur place pour parler aux jeunes, partager son parcours et les encourager à choisir le sport plutôt que la violence. « Le taekwondo m’a appris la maîtrise de moi. J’essaie de transmettre cette paix intérieure à d’autres », explique-t-il.
En parallèle de ses fonctions à l’Union africaine de Taekwondo (UAT), Balla a été nommé directeur des sports pour les Jeux Olympiques de la Jeunesse Dakar 2026. C’est un événement historique : pour la première fois, une édition olympique se tiendra sur le sol africain. Pour lui, c’est un moment charnière. Il voit dans ces JOJ un tremplin pour toute une génération. « L’Afrique a trop longtemps été spectatrice du mouvement olympique. Il est temps qu’elle en devienne actrice. » Son défi est colossal : infrastructures à construire, jeunes à encadrer, fédérations à mobiliser. Mais il avance avec méthode et détermination, fidèle à ses habitudes.
Un leadership tourné vers l’avenir
Dans sa feuille de route pour son second mandat à l’UAT, Balla Dièye place l’accent sur la formation. Il veut créer une académie panafricaine de taekwondo, offrir aux jeunes talents un cadre d’élite, et professionnaliser les métiers autour de la discipline. Il travaille également sur la promotion du taekwondo féminin et l’inclusion des zones rurales. Il rêve d’un taekwondo africain fort, unifié, compétitif sur la scène mondiale. Pour cela, il plaide pour une meilleure synergie entre les fédérations, un soutien accru des États, et une reconnaissance institutionnelle du rôle éducatif du sport.
Balla Dièye est devenu un bâtisseur, un éducateur, un artisan de paix. Sa trajectoire témoigne de la force de la résilience et du pouvoir du sport comme levier de transformation. Dans un continent souvent traversé par les crises, son parcours inspire une nouvelle génération d’athlètes, de dirigeants et de citoyens. Réélu, respecté et engagé, il continue d’écrire une histoire collective, où le taekwondo est bien plus qu’un art martial : un chemin vers l’unité, la dignité et la paix en Afrique.