Cette semaine, RFI et France 24 ont dévoilé les onze joueurs nommés au Prix Marc-Vivien Foé, une récompense individuelle créée en 2009 qui désigne chaque année le meilleur joueur africain de Ligue 1. Vainqueur de la CAN avec la Côte d’Ivoire en janvier dernier, Wilfried Singo fait lui aussi partie de la liste. Le Monégasque a réagi avec enthousiasme à sa nomination :
Je suis surpris, car je ne m’y attendais pas. Sans doute fier, aussi, de faire partie de cette sélection prestigieuse.
À en croire Sofoot qui lui consacre ce portrait, à l’image de son dribble sur Barcola (un coup de chapeau brésilien), Wilfried Singo détonne par son profil. Celui d’un gabarit de déménageur (1,90 mètre, 79 kilos), dont la maîtrise technique tranche avec les caractéristiques qu’on lui prêterait au premier abord. « C’est un joueur qui arrive bien à gérer la pression et qui n’est jamais embêté lorsqu’il a le ballon dans les pieds », note Abakar Sylla, défenseur de Strasbourg et ami de longue date de Singo.
Pour s’en rendre compte, il suffit de fixer le positionnement moyen de ce dernier, alternant facilement entre son rôle d’axial et celui de latéral droit. Une souplesse tactique parfois bienvenue au moment de s’adapter à la défense à trois ou quatre d’Adi Hütter à Monaco. C’est néanmoins pour jouer dans l’axe, où il a été formé et où il a joué l’essentiel de ses matchs cette saison, que l’ASM est allée le piocher au Torino contre 10 millions d’euros Car Singo a su briller dans le 3-5-2 institutionnel du Toro, imposé par Ivan Jurić ou Marco Giampaolo, en allant jusqu’à dépanner comme milieu droit. « Il est explosif et capable de faire beaucoup de différences », poursuit Sylla.
Mais alors, comment un bonhomme de 23 ans, destiné à faire régner l’ordre dans une charnière, est-il parvenu à se construire le CV du parfait tout-terrain ? La réponse est à chercher près du Gand-Béréby, sur les rives du Golfe de Guinée. Dans cette région côtière connue pour sa production de caoûtchouc — qui a notamment vu naître Jean-Michael Séri ou Éli Kroupi —, Wilfried Singo a appris à jouer comme ses prédécesseurs, avec le Petit poteau.
Véritable sport national au pays, cette discipline consiste à disputer des matchs en 6 contre 6, et à marquer dans des buts ne dépassant pas le mètre carré. L’outil idéal pour travailler conduite de balle et précision :
Je pense être un défenseur dans l’âme, confie Singo. J’ai été formé dans l’axe et je m’y sens bien. C’est sans doute un atout d’avoir cette polyvalence, mais je dois dire que j’aime jouer avec le jeu face à moi.
Algérie, comme tremplin
Très vite trop doué pour ce football de quartier, l’intéressé voit alors le destin lui sourire une première fois durant les années collège. La famille Singo déménage en effet vers Yopougon, commune la plus populaire d’Abidjan, et Wilfried prend sa licence à l’académie Maman Clotilde, créée par la mère de Didier Drogba himself.
De quoi se faire un prénom dans ce microcosme académicien, mais pas suffisamment pour gagner en visibilité. À défaut de se morfondre dans ce rythme de joueur amateur, celui qui s’est définitivement révélé comme latéral décide de forcer les choses. En 2016, quelques mois avant sa majorité, un scout espagnol basé en Côte d’Ivoire le sélectionne avec deux autres camarades pour des essais en Algérie.
La bande était logée dans une résidence à Blida, et faisait quotidiennement le trajet en fourgonnette jusqu’à Alger pour jouer avec l’une des filiales de l’Espanyol de Barcelone que nous avions en Afrique du Nord », raconte Albert Saus, entraîneur de Singo en Algérie.
L’opération séduction fonctionne, malgré les deux heures de trajet aller-retour entre Blida et Alger, et l’Espanyol s’imagine déjà amener le jeune Wilfried en Catalogne.
On l’appelait par son deuxième prénom, à l’époque, Stéphane, déroule Saus. Je le faisais jouer défenseur central, et c’était clairement le plus fort de toute l’académie. Avec les dirigeants de l’Espanyol, il était donc prévu de le signer en Espagne avec nos U19, puis éventuellement l’amener chez les pros. Malheureusement, nous avons fait face à un casse-tête administratif, l’empêchant d’obtenir son visa et d’avoir un tuteur légal en Europe.
Douche froide, retour à Yopougon. Mais pas pour très longtemps, puisqu’en rentrant chez lui, le défenseur intègre la structure qui allait achever sa mue. Celle de l’AS Denguélé, club phare local, avant tout reconnu pour sa qualité de formation. « Le passage de Wilfried à l’ASD était comme une tornade. Il était au-dessus du lot. Ici, on dit que celui qui passe par Denguélé va vivre comme un prodige. L’adage n’est pas faux », philosophe Idriss Diallo, président de la fédération ivoirienne. Et il n’a pas tort, car à Denguélé, Ibrahima Sangaré a par exemple récemment fait ses classes.
À Denguélé, j’ai continué à travailler dur. Je tiens d’ailleurs à remercier mon président de l’époque, Monsieur Koné, pour sa bienveillance, rembobine Singo, dont l’ascension s’achève encore loin de chez lui, au Cameroun. J’ai eu l’opportunité de participer au G8 Talent au Cameroun, qui est probablement le meilleur concours pour les U18 en Afrique subsaharienne, avec un grand nombre de scouts du football européen. J’ai réussi à me distinguer lors de ce tournoi et à réussir une très bonne saison. Ensuite, le fait que mon agent, Maxime Nana (fondateur du G8 talents, NDLR), avait une bonne relation avec le président du Torino, Urbano Cairo, à la suite du transfert de Nicolas Nkoulou, a sans doute facilité les échanges et mon arrivée en Italie.
Nicolas Nkoulou, comme mentor
Après ce G8 de Yaoundé — qui a notamment vu André Zambo Anguissq se révéler en 2011 —, l’agent de Singo et le président Cairo se chargent de le faire signer au Torino. « À l’époque, nous étions en U20, à peine majeurs, et nous venions tous les deux d’arriver en Europe », détaille Abakar Sylla, débarqué quelques mois plus tard au Club Bruges. En découverte à Turin, Wilfried Singo, d’abord envoyé faire le prestigieux tournoi de Viareggio avec la réserve, grimpe vite au sein du groupe pro de Walter Mazzarri, épaté par cet ado capable d’assumer n’importe quel rôle défensif. Pour le plus grand plaisir d’Idriss Diallo :
Wilfried est une fierté particulière pour la Côte d’Ivoire, car il a rejoint la Serie A sans avoir fait le moindre match professionnel au pays. C’est la preuve que le savoir-faire ivoirien est encore une valeur sûre. Sur la dernière CAN d’ailleurs, 14 joueurs sur les 27 Éléphants présents sont formés localement.
Au Torino, cette « valeur sûre » ivoirienne, quasi exclusivement utilisée comme latéral voire piston droit, ne manquera par exemple que 25 matchs sur 134 possibles. Surtout, Singo finit de polir son profil, guidé par Nicolas Nkoulou. L’ancien défenseur de l’OM et de l’AS Monaco sert ainsi de professeur à son jeune protégé, lui offrant des séances de rab à l’entraînement afin de travailler son placement dans l’axe ou son jeu de tête. Le Camerounais lui permet également de s’affirmer dans le vestiaire, en combattant une timidité caractéristique. Diallo :
Wilfried est quelqu’un de très réservé. Je dis de lui que c’est un introverti engagé. Il peut passer une journée entière dans le vestiaire sans dire le moindre mot, mais s’il sent que ses coéquipiers ont besoin de lui sur le terrain, il sera le premier à venir gueuler.
Wilfired est l’un de mes profils favoris. Véritable conseiller, Nkoulou « joue un rôle important » dans la signature de son coéquipier à Monaco, recruté pour principalement évoluer à droite, malgré quelques dépannages salvateurs en défense centrale. « Wilfired est l’un de mes profils favoris, analyse Émerse Faé, sélectionneur de la Côte d’Ivoire. Il dispose d’une technique très fine pour son gabarit, et c’est pour cela que je préfère le voir comme défenseur droit. Pour que l’on puisse profiter de son incroyable qualité de centre. » Le résumé du joueur qu’est Wilfried Stéphane Singo.