Franck Simon : « la CAN est devenu un tournoi majeur, tout le monde veut y être »

La CAF a annoncé plus de 5 000 demandes d’accréditation pour la CAN en Côte d’ivoire. Qu’est ce qui peut justifier un tel engouement ?

Je crois que n’importe quel journaliste africain à envie d’être présent et suivre la Coupe d’Afrique des nations. C’est une certitude ! C’est devenu un tournoi majeur. En plus, cette année elle se déroule en Côte d’Ivoire, un pays dont on connaît les valeurs d’hospitalité. C’est un pays qui a des traditions d’hospitalité. Cela fait bien longtemps que le pays n’a pas accueilli la CAN. La dernière fois c’était en 1984, dans un autre siècle. Donc je crois que beaucoup veulent vivre ce grand moment dans le pays des Laurent Pokou, Didier Drogba et autres. Les Ivoiriens ont cette réputation de savoir bien accueillir les étrangers.

On note aussi l’attrait d’une compétition qui ne cesse de grandir année après année. Également, le fait de se dire qu’on va suivre de très grands joueurs : Sadio Mané, Kalidou Koulibaly, Mohamed Salah, Vincent Aboubakar, Riyad Mahrez, André Onana, etc. On a les Marocains, demi-finalistes de la Coupe du monde 2022. Donc, je crois que cela explique tout cet engouement.

Tout le monde a envie d’y être, mais il n’y a pas assez de place dans les stades pour tout le monde. Les tribunes de presse, même si elles ont été agrandies, elles ne peuvent pas accueillir non plus des centaines de journalistes. Donc, on peut comprendre que la CAF ait dû tamiser. C’est-à-dire bien regarder les listes des médias demandeurs, qu’ils soient européens, qualifiés avec leur nation ou non qualifiés. Ne pas accorder plusieurs accréditations à un même média.

Sur le plan de l’organisation, quelles sont les erreurs qui ont été commises au Cameroun qu’il faudra éviter en Côte d’Ivoire ?

Je me garderai bien de répondre sur les erreurs ou les soucis que le Cameroun a pu commettre en termes d’organisation. Je n’étais pas sur place. J’ai suivi la compétition sur le plateau d’une chaîne télévisuelle. J’ai le sentiment que la population camerounaise avait répondu massivement. Les Camerounais sont venus très nombreux. Les stades étaient très souvent pleins. Il y avait une très bonne ambiance, c’était une CAN de bonne ambiance.

A côté de cela, c’était une CAN qui était un peu embêtée par la fin de l’époque du Covid. Je pense que cela a un peu terni le tableau. Ce qui est triste c’est que cette CAN a été endeuillée par le décès de quelques supporters et supportrices camerounais venus lors d’un match. C’était une grande première dans l’histoire de la compétition. Je n’ai pas les tenants et les aboutissants, mais c’est vrai que cela a un peu terni l’image de cette compétition, qui pour le coût avait été réussi, de l’avis de ceux qui étaient sur place. Malgré cela, les stades étaient beaux, l’ambiance était là, la cérémonie était superbe

Le Sénégal pourra-t-il rééditer son exploit en terre ivoirienne ?

C’est en tout cas le souhait du peuple sénégalais. C’est sans doute aussi le souhait de l’équipe nationale sénégalaise et de son encadrement. On a toujours le sélectionneur Aliou Cissé, on a toujours les joueurs cadres : Sadio Mané, Kalidou Koulibaly, Gana Guèye entre autres. Et puis l’on a de jeunes joueurs qui se sont illustrés depuis. Ils ont envie de faire la passe de jeu. Cela sera très compliqué, ils sont très attendus.

L’équipe nationale se distingue par un fond de jeu très élaboré actuellement. Il y a beaucoup d’expérience, il y a du talent. Ils ne sont pas faciles à manœuvrer. Mais attention ! Il ne faut pas les mettre dans un coin. Ils ont de l’expérience, c’est une équipe qui peut tracer sa route au-delà des huitièmes de finale. Je pense qu’il y a une très grosse adversité. Il y a pas mal de pays qui peuvent prétendre à la succession des Lions de la Teranga.

La Côte d’ivoire, pays hôte, pourra-t-elle supporter la pression de son public ?

C’est à souhaiter que les ivoiriens puissent supporter la pression exercée par son public. Je pense même qu’ils devraient se nourrir de cet amour, de cette pression. Évidement il y a des Ivoiriens qui souhaitent la victoire de l’équipe nationale. Certains vont se dire « oui on a une belle équipe nationale » mais les joueurs n’ont pas passé beaucoup de temps ensemble. Donc, c’est peut-être trop tôt pour leur demander d’aller chercher un trophée.

Je pense qu’il y a de la qualité, il y a de la jeunesse, il y a de l’envie. On se dit qu’il faudrait sortir de la poule. Ensuite, essayer de tracer sa route jusque dans le dernier carré. Ce sera compliqué de la remporter avec un groupe aussi jeune, mais l’aide du public peut leur donner des ailes. Il ne faut pas négliger le soutien massif de la population quand c’est une équipe nationale qui accueille la compétition.

Le Maroc, demi-finaliste du Mondial qatari, sera-t-il l’équipe la plus difficile à battre lors de cette CAN ?

Je ne sais pas si le Sénégal sera l’équipe la plus difficile à battre. Mais, le Maroc arrive avec son statut de demi-finaliste du mondial qatari. Toutefois, la Coupe du monde n’est pas la Coupe d’Afrique des nations. Ils ont été sortis en quarts de finale lors du tournoi au Cameroun. Ce sera compliqué, ils sont attendus de toute part. Ils font figure de favoris tout comme le pays hôte et le champion sortant. Donc c’est à eux de confirmer sur le terrain. Le reste c’est du pipeau.

Bien sûr ils sont demi-finalistes de la Coupe du monde mais là on leur parle d’une Coupe d’Afrique des nations avec des critères propres. Ils ne peuvent pas aller en finale en adoptant la stratégie de la tortue ou du porc-épic ou encore celle du hérisson. Il faut attaquer, marquer des buts, être ambitieux, être un peu plus dans le jeu, montrer les muscles ! Donc, c’est un peu différent pour le Maroc qui, arrivé en Coupe du monde, avançait en surprenant tout le monde, justement en adoptant cette tactique du hérisson et en piquant une fois de temps en temps.

Voyez-vous d’autres pays capables de jouer les trouble-fêtes dans cette compétition…

On peut imaginer que, l’Afrique du Sud avec la dizaine de joueurs qui arrivent de Mamelodi Sundowns sera un trouble-fête pour le retour en CAN. On peut imaginer le Syli National de Guinée de Kaba Diawara avec un Serhou Guirassy, en grande forme dans le championnat allemand. On peut imaginer le Nigeria, même s’ils ont des petits soucis.

Je ne veux pas citer le Cameroun car ce n’est pas un favori logique mais je pense qu’il peut avoir une bonne surprise parce que certains pensent que ce Cameroun-là n’est pas en capacité. Mais, il ne faut pas oublier qu’ils ne sont pas là par hasard. Ils vont essayer d’aller chercher un nouveau titre comme en 2017. Il ne faut pas mettre aussi de côté le Mali. Ne sous-estimons pas les Aigles. En vérité, moi je pense quand il y a 1/3 des sélections nationales.

N’oublions pas l’Algérie et l’Égypte. Il y a au moins huit sélections qui ont suffisamment d’atouts pour se tailler une route. Mais le plus important c’est de bien finir. On peut commencer doucement, franchir un tour et monter en puissance, aller crescendo. Ça ne sert à rien de débuter à fond comme le Nigeria l’avait fait au Cameroun pour être éliminé bêtement en huitième. Méfiance avec toutes ces nations citées.

Vous qui connaissez très bien le foot africain, comment doivent-ils s’organiser (formations, infrastructures etc.) pour combler leur retard ?

C’est un vaste chantier. Cela coûte énormément d’argent. C’est aussi le football de la base, c’est aussi le football féminin, le football des jeunes. Il faut des moyens pour pouvoir se développer, avoir des infrastructures dans les quartiers, avoir des terrains qui ne s’abîment pas trop. Avoir aussi des moyens pour développer le championnat de jeune et féminin, continuer de développer l’arbitrage.

Franchement c’est un très vaste programme. Il y a encore énormément à faire dans le football africain pour rattraper une partie de ce retard infrastructurel ou organisationnel. Moi j’y crois en tout cas. C’est aux fédérations de mettre la main à la patte, ne pas attendre que cela vienne de l’extérieur. Il faut le faire de soi-même. Tout simplement pour devenir une plateforme mondiale.

Quels sont vos plus beaux souvenirs du football africain ?

Je reconnais qu’il m’est difficile d’énumérer mes meilleurs souvenirs du football africain. Il y a forcément mes premières CAN en 1994 en Tunisie, en 1998 au Burkina puis celle du Mali en 2002 qui restent gravées dans ma mémoire. Il y a aussi la découverte et le suivi des académiciens d’Abidjan que j’ai connu en 1995, dont certains ont fini champions d’Afrique en 2015, 20 ans après. J’ai été le premier journaliste européen à suivre ces académiciens.

A une finale de Coupe de champion entre l’ASEC et les Orlando Pirates Fc, je suis tombé sur eux par hasard. C’était vraiment un grand souvenir. Il y a bien-sûr la Coupe du monde sur le sol africain en 2010. Très grosse émotion pour moi. L’attribution de la Coupe du monde à l’Afrique du Sud en 2004 à Zurich où j’avais eu à croiser Nelson Mandela, paix à son âme. Mon souvenir avec Desmond Tutu, c’est aussi un grand moment. Il y a tellement de moment en vérité.

Il y a eu toute l’étape de préparation de l’équipe du Maroc avant la Coupe du monde au Qatar. J’y étais associé puisque j’ai travaillé auprès de la société Max Power, organisatrice de la préparation entre septembre et novembre. Donc, j’ai côtoyé au plus près l’équipe nationale marocaine avant qu’elle ne parte au Qatar. Ça a été un grand moment pour moi de voir comment se bâtissait cette équipe avec Walid Regragui.

J’ai envie de parler aussi de l’époque où j’habitais en Afrique du Sud en 1992 à la fin de l’Apartheid. Tous les moments que j’ai pu attraper lors de mes séjours… que ce soit au Soudan, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso. Des souvenirs j’en ai tellement que je suis en train d’essayer d’écrire un livre pour les mettre en forme.

Propos recueillis par Emile Zola Ndé Tchoussi